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Environnement réglementaire et innovation technologique en Afrique : des tensions ?

Editor's note:

Vous trouverez ci-dessous le chapitre 3 du rapport Foresight Africa 2017. Ce rapport explore six thèmes généraux qui offrent à l’Afrique des outils pour surmonter ses obstacles et stimuler une croissance inclusive. Vous pouvez également vous joindre à la conversation en utilisant #ForesightAfrica.

Pourquoi est-il important de réglementer la technologie ? Les réglementations et l’environnement réglementaire risquent-ils de nuire à l’innovation en Afrique ? Quelles réglementations sont appropriées, voire utiles à l’innovation ? Comment les États peuvent-ils trouver le bon équilibre entre réglementation et entreprenariat ? Existe-t-il des tensions entre les organes de réglementation et les innovateurs en Afrique ?

Pour le moment, la meilleure réponse à ces questions est le développement, la réussite et l’expansion des services financiers numériques (SFN) en Afrique. En particulier, M-Pesa (ainsi que d’autres produits similaires au Kenya et en Tanzanie), un system kenyan de transfert d’argent par téléphonie mobile devenu par la suite une plateforme technologique, a repoussé les frontières de l’innovation et de l’inclusion financière sans pour autant compromettre la stabilité financière. La conjugaison d’un environnement politique favorable à un robuste cadre réglementaire et de surveillance au Kenya a permis de créer l’espace dont avaient besoin les innovateurs et les entrepreneurs pour introduire des innovations financières ainsi qu’une diversification des produits présents sur le marché. Les organes de réglementation se sont mis d’accord avec les innovateurs sur la manière de gérer les risques avec prudence et l’environnement politique a garanti la stabilité de l’environnement macroéconomique.

La combinaison de ces facteurs a été la clé de la réussite du Kenya. Plusieurs résultats importants offrent une base solide permettant de tirer des leçons pour 2017, tant sur le continent africain qu’au Kenya, en vue de poursuivre les avancées et passer à l’étape suivante.

En effet, les pays qui ont adopté les SFN et créé un environnement réglementaire favorable à l’innovation ont, ce faisant, fourni les orientations nécessaires pour déterminer les résultats du marché de manière proactive.

En effet, les pays qui ont adopté les SFN et créé un environnement réglementaire favorable à l’innovation ont, ce faisant, fourni les orientations nécessaires pour déterminer les résultats du marché de manière proactive. Cette leçon a permis aux innovateurs d’introduire avec succès de nouveaux produits sur le marché par le biais de nouveaux canaux et méthodes de livraison. Ces pays ont renforcé leurs profils d’inclusion financière et insufflé un nouveau dynamisme au marché financier et à leurs économies toutes entières. C’est la raison pour laquelle les pays d’Afrique ayant créé de meilleurs environnements réglementaires, y compris les cas extrêmes, comme le Kenya et sa méthode basée sur « l’apprentissage par tâtonnement expérimental », ont remporté un grand succès. Il n’en va pas de même pour les pays ayant réservé un accueil défavorable à la révolution numérique. Les limitations de ces derniers sont souvent liées à leur environnement réglementaire prédominant et non pas à leurs cadres juridiques en vigueur.

La révolution M-Pesa a abouti au développement de la plateforme technologique en quatre phases vertueuses et innovantes et c’est l’environnement réglementaire favorable qui a permis ce développement. Tout d’abord, la plateforme sur téléphone portable a été utilisée pour effectuer des transferts d’argent entre les utilisateurs et par la suite pour effectuer des paiements et des règlements. Ces utilisations ont été facilitées et leur déploiement a été simplifié en 2006, date à laquelle l’État kenyan a amendé la loi sur les communications afin de reconnaître les unités d’argent électroniques. La commodité de transformer des espèces en unités électroniques d’espèces, de les stocker sur une carte SIM et de les télécharger simultanément sur un compte en banque a abouti au développement d’une plateforme de transactions en l’absence d’une loi régissant les paiements et les règlements nationaux. En deuxième lieu, des comptes d’épargne virtuels ont été créés, encouragés par les organes de réglementation, en utilisant la même plateforme technologique M-Pesa et en impactant ainsi le processus d’intermédiation bancaire.

En troisième lieu, le développement et l’application du capital information (notes de crédit) pour les participants de cette plateforme technologique ont été lancés quand les entreprises ont commencé à utiliser les données de paiement de M-Pesa, dont les données concernant les habitudes de déplacement et de communication, afin de déterminer le profil de risque des clients et leur offrir des prêts à des taux abordables, tout en éliminant l’asymétrie informationnelle entravant le développement des marchés du crédit en Afrique. Ce développement a été soutenu par des bureaux d’information sur le crédit déjà présents et par des amendements au Banking Act (Loi sur les services de banque) relatifs au partage d’informations. Enfin, les paiements transfrontaliers et les versements internationaux basés sur la plateforme technologique M-Pesa sont devenus possibles grâce au National Payments Act (Loi sur les paiements nationaux) qui autorise les paiements autonomes et les unités de règlement, en ce compris les versements en monnaies étrangères. Actuellement, la plateforme technologique M-Pesa révolutionne l’inclusion financière au Kenya en atteignant plus de 75 pourcent de la population et en augmentant les points d’accès aux services financiers ; 76,7 pourcent de la population se trouve à une distance de moins de cinq kilomètres d’un point d’accès aux services financiers et il y a 161,9 points d’accès aux services financiers pour 100 000 Kenyans, contre 63,1 en Ouganda, 48,9 en Tanzanie et 11,4 au Nigeria.

Que peuvent faire les organes de réglementation africains à l’avenir pour donner de l’élan à la révolution de l’innovation ?

Pour que des produits comme M-Pesa prospèrent, il est indispensable que les organes de réglementation des deux côtés comprennent à la fois les potentiels effets positifs et les risques associés aux innovations.

Pour que des produits comme M-Pesa prospèrent, il est indispensable que les organes de réglementation des deux côtés comprennent à la fois les potentiels effets positifs et les risques associés aux innovations, et mettent en place un processus d’atténuation des risques dès le départ. D’autres pays d’Afrique ayant emprunté des chemins similaires ont réussi, même ceux dont les cadres juridiques sont différents. Les règles et les directives doivent encourager les établissements financiers tout autant que les teneurs de marché à adopter des comportements prudents. Les organes de réglementation doivent gérer les entrées et sorties disciplinées des établissements financiers sur le marché, afin de réduire les risques de survenue de graves perturbations au niveau du système financier. Ceci n’a pas changé lorsque d’autres organes de réglementation du Kenya, comme ceux du secteur des télécommunications, sont apparus sur la scène ; en fait, leur arrivée n’a fait que plaider la cause des SFN et renforcer la crédibilité grâce au travail d’équipe des organes de réglementation.

Jusqu’à présent ce modèle a bien fonctionné, mais les plateformes de SFN ont attiré d’autres acteurs qui sont quant à eux soumis à des réglementations différentes sur le marché, comme les fintech et les entreprises de télécommunications ayant établi des partenariats avec des banques en vue de fournir un accès aux services financiers. Que va-t-il se passer maintenant que ces partenariats exigent des organes de réglementation et une technologie réglementaire différents ? Dans un pareil cas, la technologie réglementaire doit se développer davantage, faire face et s’aligner à ces nouveaux acteurs de marché et conceptions de produits. Dans le cas du Kenya, M-Pesa est une sorte de produit commun entre les banques commerciales et une entreprise de télécommunications (Safaricom), et d’autres produits similaires ont été développés et déployés sur le marché de manière similaire. Ces types de produits sont installés dans une banque commerciale sous la forme d’une plateforme de transactions et les entreprises de télécommunications fournissent les transmissions technologiques des transactions de cette plateforme. Les organes de réglementation des banques et des entreprises de télécommunications axent alors leurs efforts et leurs directives sur ces responsabilités partagées.

La poursuite des avancées et l’accélération de l’inclusion financière en Afrique en 2017, ainsi que la multiplication d’innovations transformatives supplémentaires, exigeront des améliorations supplémentaires au niveau de l’environnement réglementaire, des réformes réglementaires et l’optimisation des cas réussis afin de rendre le marché financier accessible, rentable, sûr et fiable de sorte à accroître la confiance et à amener l’inclusion financière à l’étape suivante de manière endogène. C’est notamment de cette façon que cette dernière fait son émergence en Afrique de l’est.

Les enseignements tirés sont la preuve qu’un environnement réglementaire inadapté peut fortement entraver les innovations au sein du marché et ralentir la montée en puissance de l’inclusion financière. À cet égard, il est possible de planifier le rôle des réglementations et ce qui est considéré comme étant un bon environnement réglementaire. En premier lieu, des modifications réglementaires sont nécessaires pour que les innovations puissent être adoptées et adaptées avec succès. Pour ce qui est des cas de réussite des SFN, les organes de réglementation des entreprises de télécommunications, les banques centrales et même la concurrence ont encouragé leur adoption et leur utilisation en facilitant l’instauration d’un environnement favorable pour les nouveaux produits et en renforçant leur crédibilité. En deuxième lieu, l’environnement réglementaire et la technologie d’avant-garde adaptée au secteur financier ont renforcé l’inclusion financière. La réussite de l’inclusion financière et de l’accessibilité au marché financier est compatible avec le rôle joué par les organes de réglementation africains au niveau du développement. Enfin, des politiques connexes doivent ouvrir, voire même encourager et motiver, la clientèle afin de la convaincre d’adopter ces nouvelles technologies. Dans le cas du Kenya, l’intégration des exclus des services financiers au système bancaire a renforcé la protection des clients et créé un environnement plus favorable à la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme. Plus important encore, elle a favorisé l’instauration d’un environnement plus favorable à la politique monétaire.

Cet exemple nous permet d’offrir une vision plus globale de l’urgence de ces innovations et leur potentiel en matière de transformation de millions de vies. Un rapport du McKinsey Global Institute (2016) intitulé Digital Finance for All: Powering Inclusive Growth in Emerging Economies,[1] a récemment rappelé certains des résultats de cette nouvelle technologie :

  • La finance numérique peut potentiellement permettre à 1,6 milliard de personnes, dont plus de la moitié sont des femmes, d’accéder aux services financiers au sein des économies émergentes et en voie de développement.
  • Elle peut accroître les volumes de prêts accordés aux particuliers et aux entreprises de 2,1 billions de dollars US et permettre aux États d’économiser 110 mille milliards de dollars US par an en réduisant les fuites au niveau des dépenses et des recettes fiscales.
  • Les prestataires de services financiers peuvent en tirer des bénéfices avec 400 mille milliards de dollars US par an de coûts directs tout en étoffant durablement leurs bilans à hauteur de 4,2 billions de dollars.
  • La croissance du PIB au sein de ces économies pourrait atteindre 2,7 millions à l’horizon 2025, soit une augmentation de 6 %. La contribution proviendrait de l’accroissement de la productivité des entreprises financières et non financières et des États ayant accès aux SFN.

Cependant, les craintes entourant l’arbitrage réglementaire, les risques et les malentendus concernant la manière dont les innovations se matérialisent empêchent toujours de nombreux organes de réglementation africains d’adopter les SFN et de créer un environnement permettant à d’autres innovations du marché de prospérer. Les tensions entre la réglementation et l’innovation risquent de persister même en 2017. Que faut-il faire ? Comment parvenir à un équilibre à l’avenir ? Rien ne semble mieux à même d’expliquer cela que les paroles de feu Sir Andrew Crockett après la crise financière mondiale :

« Mais quelles que soient les causes sous-jacentes [de la crise financière mondiale], l’opinion publique s’attend, à juste titre, que l’environnement réglementaire fasse l’objet de réformes afin d’éviter la répétition des coûts économiques et humains de la crise. De telles circonstances font naître un désir naturel de « plus de réglementation. » En réalité, il faut une « meilleure réglementation », un régime capable de mieux identifier les vulnérabilités émergentes, de mieux apprécier les risques et de mieux récompenser les comportements prudents. Dans certains cas, des réglementations supplémentaires seront nécessaires pour y parvenir, tandis que d’autres exigeront une utilisation mieux ciblée des pouvoirs dont jouissent déjà les organes de réglementation.» [2]

Les institutions définissent les règles du jeu en mettant en place une série de principes dynamiques pour orienter le marché des innovateurs et des entrepreneurs dynamiques.

Quels résultats pouvons-nous espérer ou afficher une fois que l’équilibre entre réglementation et innovation aura porté ses fruits ? Devons-nous supposer qu’en 2017, les organes de réglementation, surtout en Afrique, achèteront et adapteront la technologie réglementaire d’avant-garde qui permettra d’équilibrer et d’encourager l’innovation, les produits innovants et l’entreprenariat ? Le cas du Kenya prouve que les entrepreneurs et les innovations ont besoin d’un environnement politique et réglementaire favorable pour prospérer. Les succès de ce pays n’auraient pas été possibles en l’absence de solides institutions réglementaires, car elles remplissent deux fonctions importantes : d’une part elles définissent les règles du jeu en mettant en place une série de principes dynamiques pour orienter le marché des innovateurs et des entrepreneurs dynamiques et d’autre part, elles définissent les mesures incitatives (ainsi que les sanctions) appropriées. Une bonne combinaison de règles, principes directeurs dynamiques et mesures incitatives pertinentes encouragera l’adoption de comportements prudents sur le marché et soutiendra le développement du marché. À cet égard, les innovateurs et les entrepreneurs trouveront facile et gratifiant d’opérer et de prospérer au sein d’un tel marché et d’un tel environnement réglementaire.

Cette synergie permettra de soutenir l’innovation au sein du marché et d’attirer de nouveaux entrepreneurs. Cependant, il convient de ne pas ignorer deux avertissements importants pour 2017. La stabilité financière, à l’instar de nombreux autres moteurs de croissance importants, ne peut pas être soutenue par seules les réglementations. D’autres facteurs internes et externes, comme l’instabilité de l’environnement macroéconomique et les risques de récession, peuvent menacer la réussite. La récession économique prive l’économie d’opportunités d’investissement et le secteur financier a besoin de cette dynamique pour prospérer, car c’est ce qui lui permet d’affecter des ressources financières vers la réalisation des investissements. En outre, le plafonnement des taux d’intérêt détruit l’instrument utilisé partout dans le monde pour apprécier les risques. Dans ce genre de situation, la réduction des risques sur le plan national nuit à la stabilité financière et à la promotion de l’innovation et l’entreprenariat sur le marché.  Une approche réglementaire et un environnement réglementaire encourageant l’innovation et l’entreprenariat sont les buts que les économies africaines doivent s’efforcer d’atteindre en 2017, tout en cherchant à éviter les obstacles susceptibles de perturber le processus et la croissance globale tous secteurs confondus.

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