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Point de vue prospectif sur l’Afrique – Engagement de la Chine en Afrique: que peut-on apprendre en 2018 de son engagement de 60 milliards USD?

Kenya Railways attendants prepare to receive a train launched to operate on the Standard Gauge Railway (SGR) line constructed by the China Road and Bridge Corporation (CRBC) and financed by Chinese government as it arrives at the Nairobi Terminus in the outskirts of Kenya's capital Nairobi May 31, 2017. REUTERS/Thomas Mukoya - RC13462847E0
Editor's note:

Notes de l’éditeur:  vous trouverez ci-dessous un point de vue extrait du chapitre 6 du rapport Foresight Africa 2018. Il développe six thèmes fondamentaux offrant à l’Afrique des opportunités de surmonter ses obstacles et de favoriser une croissance inclusive. Lire le chapitre complet sur la nature changeante des relations internationales de l’Afrique ici. The English version of this piece can be found here.

Depuis 2000, six sommets du FCSA (Forum sur la coopération sino-africaine) ont été tenus à intervalles de trois ans et le prochain est prévu avoir lieu à Pékin en 2018, si l’on ne déroge pas à cette tradition. Le FCSA constitue le mécanisme et la plateforme institutionnels principaux en matière de coopération économique entre la Chine et les pays africains. Le niveau d’engagement pris par la Chine à l’occasion du sommet de 2015 à Johannesburg a été étonnamment élevé, peut-être dans le cadre de la diplomatie de prestige voulue par le président Xi Jinping : atteignant 60 milliards USD, le montant du financement promis représente le triple du montant de l’engagement de 20 milliards USD promis lors du sommet du FCSA de 2012*.   

Ces fonds sont prévus atténuer le goulot d’étranglement qui emprisonne le développement économique et social de l’Afrique. En 2015, le président Xi avait annoncé dix plans détaillés et ambitieux portant sur l’industrialisation, la modernisation de l’agriculture, le commerce et l’investissement et la santé publique, entre autres. La mise en œuvre des engagements chinois au cours de ces deux dernières années est révélatrice du niveau de priorité et du rythme de l’engagement de la Chine en Afrique en 2018, si la Chine souhaite les finaliser avant le prochain sommet du FCSA.

LES TROIS SECTEURS PRIORITAIRES DE L’ENGAGEMENT DE LA CHINE POUR LE FCSA 2015 SONT l’INDUSTRIALISATION, LA MODERNISATION DE L’AGRICULTURE ET L’INFRASTRUCTURE.

L’engagement de la Chine en Afrique se veut ambitieux. En 2018, elle continuera à promouvoir le développement de parcs industriels et à attirer des investisseurs pour ces derniers dans le cadre de ses programmes phares d’industrialisation en Afrique. La Chine a également privilégié les partenariats industriels et la coopération au niveau des capacités industrielles en Afrique ; elle s’est ainsi engagée à faciliter les investissements privés chinois, à fournir une assistance technique et à former au moins 200 000 travailleurs locaux. En Éthiopie, la Chine a déjà achevé le Parc industriel Hawassa en neuf mois entre 2015 et 2016. D’après les officiels chinois, le parc a attiré 15 grandes entreprises de l’industrie du textile et de l’habillement et six d’entre elles exportent déjà sur le marché international. La China Civil Engineering Construction Company (CCECC) construit trois autres parcs industriels dans le pays, également financés au moyen de prêts et d’investissements chinois. Au Kenya, le Groupe chinois Guangdong New South Group a entamé la construction du premier parc industriel privé du pays à Uasin Gishu en juillet 2017 dont le coût s’élève à 2 milliards. Ce parc sera un élément important au regard de la Zone économique spéciale kenyane de Zhujiang, en partie inspirée du modèle de développement économique de ZES de la Chine. En 2018, la Chine continuera à promouvoir le développement de parcs industriels afin de soutenir l’industrialisation de l’Afrique.

L’une des principales caractéristiques de l’aide agricole chinoise en Afrique a été la mise en place de centres de démonstration de technologies agricoles qui, tout en s’intégrant aux industries agricoles locales, cherchent également à créer de solides ancrages pour les entreprises chinoises au sein de nouveaux marchés.

Pour ce qui est de la coopération sino-africaine dans le domaine de la modernisation de l’agriculture, la Chine a pour objectif d’améliorer la capacité et la productivité agricoles de l’Afrique en privilégiant le partage des expériences et le transfert de technologies, en encourageant les investissements agricoles chinois en Afrique et en établissant de nouveaux cadres et programmes visant à amener des experts chinois dans ces pays africains. L’une des principales caractéristiques de l’aide agricole chinoise en Afrique a été la mise en place de centres de démonstration de technologies agricoles qui, tout en s’intégrant aux industries agricoles locales, cherchent également à créer de solides ancrages pour les entreprises chinoises au sein de nouveaux marchés. En 2017, 23 centres de démonstration étaient en service sur l’ensemble du continent. Outre les centres de démonstration, la Chine a tout récemment accepté d’accorder à la Zambie de nouveaux prêts concessionnels en vue d’améliorer sa capacité agricole, la formation professionnelle et de renforcer les investissements chinois dans ce secteur. Avec l’Afrique du Sud, la Chine a signé de nouveaux accords liés au secteur agricole dans le but de faciliter les échanges d’experts et de technologie entre les deux pays. Des accords similaires ont été également pris avec le Nigeria. Il est probable que la Chine insistera pour que le développement agricole soit l’une des priorités du programme de 2018 et ce, espérons-le, pour l’ensemble du continent plutôt que pour quelques pays jugés prioritaires.

L’intérêt de la Chine pour l’infrastructure va plus loin que la quête d’une simple augmentation des flux commerciaux et de populations grâce à la circulation ; elle vise également à améliorer les capacités de l’aviation civile, des réseaux électriques, des réseaux de télécommunications et de la formation des ressources humaines. Ainsi, il est important de noter que l’engagement pris par la Chine en 2015 au niveau de l’infrastructure est axé sur la coopération dans les projets de construction de chemins de fer, d’autoroutes et de ports par le biais de diverses méthodes de financement. Le lancement réussi de la voie de chemin de fer à écartement standard reliant Mombasa à Nairobi en mai 2017 (la ligne Madaraka Express), construite et financée par la Chine, sera prolongée dans les années à venir. Si tout se passe bien, la ligne Mombasa-Nairobi reliera à l’avenir le Kenya à la Tanzanie, à l’Ouganda, au Rwanda, au Burundi et même au Soudan du Sud et à l’Éthiopie.

À l’horizon 2018, l’intérêt de la Chine pour l’infrastructure sera de plus en plus diversifié dans le secteur de la production et de la distribution d’électricité. En effet, sans électricité, un plan d’industrialisation ne sera jamais rien d’autre qu’un plan. Outre le déficit électrique, la Chine semble faire écho à l’appel lancé par certains pays africains en faveur du développement des énergies renouvelables en tant que source alternative, ce qui pourrait aller à l’encontre de l’approche pragmatique et très soucieuse des coûts adoptée par la Chine au niveau de ses investissements en Afrique.

LE COMPTE EST-IL BON?

À l’heure d’évaluer dans quelle mesure la Chine a respecté son engagement pris à l’occasion du FCSA de 2015, la question la plus énigmatique est de savoir quel montant du financement promis a été déboursé. La réponse à cette question déterminera le niveau et le rythme du financement chinois en 2018. En dépit des progrès impressionnants réalisés par la Chine sur plusieurs fronts, les statistiques du côté chinois sont vagues et peu concluantes. À titre d’exemple, d’après le People’s Daily, 243 accords de coopération ont été signés entre décembre 2015 et juillet 2016, pour un montant total de 50,7 milliards USD, dont 46 milliards USD pour les investissements directs et les prêts commerciaux concédés par les entreprises chinoises. Lorsqu’il a expliqué les chiffres, le vice-ministre des affaires étrangères chinois n’a pas expliqué quel pourcentage de ces 50,7 milliards USD était tiré des 60 milliards USD représentant l’engagement de financement officiel pris par l’État chinois. Au lieu de cela, l’explication officielle est que l’engagement de 60 milliards USD pris par l’État chinois a eu un effet multiplicateur en attirant des capitaux privés et autres financements commerciaux. Aussi positif que cela puisse sembler, il n’en demeure pas moins que la question reste sans réponse.

À ce rythme, le Fonds de coopération Chine-Afrique sur la capacité industrielle a peu de chances d’atteindre son objectif de financement de 10 milliards USD d’ici à la fin de 2018.

Certaines statistiques en provenance de la Chine sont moins encourageantes. Le Fonds de coopération Chine-Afrique sur la capacité industrielle, vite établi après l’annonce faite par le président Xi à Johannesburg, a commencé ses activités en janvier 2016, grâce aux 10 milliards USD de capital de démarrage accordés par l’État chinois. Cependant, au bout de 18 mois de fonctionnement officiel, le fonds n’avait approuvé que six projets pour un investissement total de 542 millions USD, dont seulement quatre avaient effectivement reçu un investissement de 248 millions USD. D’après ses responsables, le fond a pour priorité la gestion des risques et les investissements en actions de moyen à court termes. En particulier, le fonds a indiqué que les principaux facteurs influant sur le rythme du fonds sont la baisse des investissements en Afrique sub-saharienne et la perte d’intérêt des entreprises chinoises engendrée par le ralentissement de l’économie nationale. À ce rythme, le Fonds de coopération Chine-Afrique sur la capacité industrielle a peu de chances d’atteindre son objectif de financement de 10 milliards USD d’ici à la fin de 2018. La Chine pourrait jouer sur les mots en disant que les capitaux ont effectivement été versés au fonds, mais ceci ne saurait être considéré pour autant comme des fonds fournis à l’Afrique.

Les statistiques relatives aux 35 milliards USD de prêts concessionnels promis sont encore moins disponibles dans l’immédiat. Lors de la Conférence des coordinateurs de la mise en œuvre des actions de suivi du Sommet de Johannesburg du FCSA tenue à Pékin six mois plus tard, il fut annoncé que la Banque d’exportation et d’importation de Chine a approuvé des prêts concessionnels pour un montant de 4,3 milliards USD au bénéfice de l’Afrique après le Sommet du FCSA de 2015. À ce rythme, la Chine devrait être en mesure de franchir le cap des 35 milliards USD d’ici la fin de 2018.

En 2018, il convient de prêter attention à la manière dont la Chine applique et prend en considération le modèle PPP (partenariats public-privé) au regard des nouveaux investissements dans des projets d’infrastructure en Afrique. Les acteurs chinois ont pris note de l’intérêt manifesté par les différents États africains envers le modèle PPP afin de combler les déficits de financement au niveau du développement des infrastructures. Cependant, pour dépasser la simple observation, il faudra que la participation concrète des entreprises chinoises dans de tels projets prenne de l’élan. Toutefois, au regard de la popularité du modèle PPP dans les discussions de la Chine sur les investissements internationaux, comme l’Initiative « la ceinture et la route », il sera très intéressant de voir si la Chine expérimentera davantage avec le PPP en 2018.

2018 sera la dernière année dont dispose la Chine pour remplir ses engagements pris à Johannesburg. Elle a accompli des progrès constants au niveau de ses promesses financières dans des domaines comme l’industrialisation, le développement agricole et l’infrastructure. À son rythme actuel, elle devrait parvenir à satisfaire la majorité de son engagement de financement de 60 milliards USD dans les délais fixés. Cependant, la Chine devra progresser de manière significative dans certaines catégories, dont le Fonds de coopération Chine-Afrique sur la capacité industrielle en 2018 si elle veut tenir sa promesse. De nouveaux points focaux, tels que la production/distribution d’électricité et le modèle PPP seront des aspects intéressants à observer afin d’identifier les prochaines étapes de la priorité de la Chine en Afrique.

*La somme de 60 milliards USD est ventilée comme suit : 5 milliards USD sont destinés aux subventions, 35 USD aux prêts concessionnels et aux crédits à l’exportation, 5 milliards USD chacun au Fonds de coopération Chine-Afrique sur la capacité industrielle et au Prêt spécial pour le développement des PME et 10 milliards USD pour un Fonds de coopération Chine-Afrique sur la capacité industrielle.