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Leçons à tirer des crises récentes en Afrique de l’ouest : solutions locales en matière de gouvernance et de société civile

Editor's note:

Vous trouverez ci-dessous le chapitre 6 du rapport Foresight Africa 2017. Ce rapport explore six thèmes généraux qui offrent à l’Afrique des outils pour surmonter ses obstacles et stimuler une croissance inclusive. Vous pouvez également vous joindre à la conversation en utilisant #ForesightAfrica.

En 2016, d’importants progrès ont été accomplis en vue de résoudre les deux crises qui ont secoué l’Afrique de l’ouest ces dernières années. En premier lieu, la coopération entre les États, les communautés, les organisations civiques d’Afrique et les partenaires internationaux a permis de surmonter les luttes initiales et de mettre un terme à la dernière épidémie d’Ebola en Guinée, au Liberia et au Sierra Leone. Le 29 mars, l’Organisation mondiale de la santé a annoncé la fin de la crise. En deuxième lieu, et même s’il reste encore beaucoup à faire, de grands progrès ont été accomplis au niveau du combat visant à sécuriser le bassin du lac Tchad pour le protéger contre la menace posée par Boko Haram. Même si le groupe reste menaçant, les États de la région ont toutefois repris le contrôle d’une grande partie du territoire préalablement contrôlé par Boko Haram.

En ce début 2017, les États africains et leurs partenaires internationaux doivent réfléchir aux défis structurels à l’origine de l’escalade de ces crises et sur les leçons pouvant en être tirées afin d’améliorer la prévention et les interventions à l’avenir.

Des menaces multidimensionnelles dans un monde en pleine évolution

Ebola et l’insurrection de Boko Haram ont fait leur apparition dans deux endroits très différents, mais ces deux évènements ont trois caractéristiques communes :

  1. La persistance des divisions entre le centre et la périphérie et griefs locaux au sein d’économies en croissance. Les deux crises ont été la conséquence de menaces régionales complexes nées au sein des régions frontalières de pays africains relativement riches, mais parmi des populations qui ressentaient une méfiance profondément enracinée, et souvent bien-fondée, à l’égard de leurs gouvernements nationaux. Ebola a commencé dans la région forestière de la Guinée, une région qui abrite des mines de fer parmi les plus riches du monde où les groupes ethniques et culturels minoritaires, depuis toujours marginalisés, n’ont que maigrement profité de l’énorme richesse minérale de la région. Tout juste six mois avant le début de l’épidémie Ebola, la région avait été secouée par une vague d’émeutes ethniques menées contre les étrangers migrant dans la région et considérés par les autochtones comme étant soutenus par l’État. Les émeutes se sont rapidement propagées dans les régions voisines au Sierra Leone et au Liberia, deux pays dont les groupes ethniques, les cultures et les paysages sont similaires. Par ailleurs, Boko Haram est né à Maiduguri, un centre d’apprentissage et de commerce situé dans le bassin du lac Tchad, mais l’une des régions les plus pauvres du Nigeria. Le message radical du mouvement a pris de l’élan dans une région affligée par la désertification, une mauvaise infrastructure et où les jeunes ont peu de chances de réaliser leur potentiel économique et social.

Les facteurs ayant contribué aux deux crises étaient extérieurs à la région, que ce soit la migration du virus Ebola en Afrique de l’ouest, l’impact de l’effondrement de l’État en Libye, la disponibilité des armes à travers le Sahel ou la recrudescence des activités menées par des groupes extrémistes internationaux comme le groupe EI à qui Boko Haram a fini par prêter allégeance.

  1. La connectivité mondiale a nourri à la fois les crises et la réponse internationale. Les partisans du développement international ont longtemps argué que les systèmes de santé et de sécurité en Afrique ne peuvent pas être séparés des problématiques du reste du monde. Les trois dernières années ont prouvé la véracité de cet argument. Les facteurs ayant contribué aux deux crises étaient extérieurs à la région, que ce soit la migration du virus Ebola en Afrique de l’ouest, l’impact de l’effondrement de l’État en Libye, la disponibilité des armes à travers le Sahel ou la recrudescence des activités menées par des groupes extrémistes internationaux comme le groupe EI à qui Boko Haram a fini par prêter allégeance. Non seulement les craintes relatives au terrorisme mondial et aux pandémies ont fait naître des préoccupations internationales et mobilisé une réponse de grande ampleur, mais elles ont également anéanti les gains économiques d’une région luttant pour se défaire d’une image de mauvaise gouvernance et de troubles civils, ce qui a lourdement pesé sur les budgets nationaux et réduit les recettes fiscales.
  1. Une approche « pansociale » était nécessaire pour gérer les crises, mais elle a été adoptée trop tard. Le rapide essor de Boko Haram et l’inefficacité de l’intervention initiale face à Ebola ont mis en lumière les faiblesses des systèmes nationaux, puis internationaux, en matière de gestion de crise. La communication inefficace avec les communautés remplies de méfiance dans les zones affectées par Ebola a poussé les citoyens à attaquer, parfois à tuer, les agents de santé. Dix-huit mois après le début de l’épidémie, ces derniers étaient toujours attaqués et bloqués tandis qu’ils luttaient pour atteindre certaines communautés. Les abus commis par les forces armées nigérianes et régionales lors des opérations menées contre Boko Haram ont été propices au recrutement durant les premiers jours, et les opérations antiterroristes étaient entourées du plus grand secret. À la mi-2015, de nombreux élus et responsables de la sécurité travaillant dans le nord-est du Nigeria n’avaient encore tenu aucun forum public pour discuter de la sécurité ou expliquer leur travail aux civils vivant dans les régions affectées. En dépit de cette méfiance et de la faiblesse initiale de la réponse de l’État, aucune de ces deux crises n’a suscité la mobilisation massive de casques bleus et d’organisations coordonnée par l’ONU en vue de remplacer les gouvernements fragiles de pays comme la République centrafricaine, le Soudan du Sud ou à l’est de la République démocratique du Congo. Il a fallu attendre que les stratégies gouvernementales commencent à privilégier un travail plus direct avec d’autres structures dans ces régions, comme les chefs traditionnels, les groupes religieux et la société civile pour que la réponse parvienne à inverser la tendance au niveau de ces crises.

La gouvernance doit être fondée sur la cohésion sociale et la redevabilité

En ce début 2017, les États et la société civile d’Afrique, ainsi que la communauté internationale, doivent tirer trois leçons fondamentales concernant les problématiques à l’origine de ces crises et les mesures qui ont permis de les résoudre.

  1. En dépit du fait que les États ne peuvent pas tout faire à eux seuls, le rôle des acteurs non-étatiques est souvent négligé et les ressources nécessaires en matière de gestion de crise leur font défaut. Ce n’est pas parce que les États jouent un rôle crucial en matière de prestation de services de base sur l’ensemble du continent, que ces services relèvent uniquement de leur responsabilité. Au bout du compte, il s’agit de problématiques sociales, chacun a son rôle à jouer et l’État doit collaborer avec les citoyens et les communautés en vue d’assurer l’adoption d’une réponse « pansociale ». Les stations de radio communautaires, les chefs religieux, les crieurs publics et les griots, sans oublier les clubs de jeunes sont venus apporter leur concours à la lutte contre Ebola quand les enregistrements radio et les campagnes de sensibilisation des organisations internationales et des ministères de la santé ont échoué. Au Nigeria et au Cameroun, les chasseurs traditionnels et les groupes de sécurité, les organisations communautaires et les représentants des gouvernements civils ont joué un rôle clé au niveau du renforcement de la sécurité et de la réponse face à la menace posée par Boko Haram, tandis qu’au Niger, les comités locaux de « cohésion sociale » travaillent de concert avec les gouvernements et les agences d’aide humanitaire pour organiser la réception et l’aide aux réfugiés qui fuient la violence.

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Les acteurs non-étatiques doivent jouer un rôle non seulement en tant que critiques des inactions ou des abus de pouvoir, mais aussi en tant que partenaires actifs au regard de la formulation et de la mise en œuvre des politiques visant à faire face aux nouveaux défis.

  1. L’engagement de la société civile se limite souvent à un rôle de « surveillance » au niveau politique. Les acteurs non-étatiques, qu’ils agissent sous l’égide d’associations formelles, d’organismes communautaires ou d’autres institutions (religieuses, traditionnelles, académiques, commerciales) peuvent être des interlocuteurs clés en vue de canaliser les opinions des citoyens et contribuer à la formulation des politiques. Toutefois, les modèles d’action et d’aide dirigés par la société civile accordent trop d’importance au rôle contradictoire joué par la société civile quant aux abus des États plutôt que de soutenir les forums en faveur du dialogue et de la formulation conjointe de politiques. Bien que les groupes de la société civile puissent jouer un rôle fondamental en suscitant une volonté politique en faveur du changement, les besoins des citoyens dépassent souvent la capacité des gouvernements à délivrer des services. Les acteurs non-étatiques doivent jouer un rôle non seulement en tant que critiques des inactions ou des abus de pouvoir, mais aussi en tant que partenaires actifs au regard de la formulation et de la mise en œuvre des politiques visant à faire face aux nouveaux défis. Au Nigeria, nous soutenons l’« architecture de sécurité communautaire » pour que les citoyens ordinaires puissent identifier les risques sécuritaires, agir au niveau local et prendre collectivement contact avec les instances gouvernementales si nécessaire.
  1. Tous les acteurs doivent davantage privilégier la redevabilité sociale à long terme. Les deux crises ont mis en évidence les conséquences de la profonde méfiance entre les acteurs étatiques et les communautés qu’ils servent. L’héritage des régimes coloniaux et autoritaires a profondément sapé le rôle des instances gouvernementales et des fonctionnaires en tant que membres de la fonction publique, en particulier dans les régions éloignées et historiquement marginalisées. Des mesures comme le Partenariat pour un gouvernement transparent dont le but est d’accroître la transparence budgétaire et de créer des opportunités permettant aux citoyens de donner leur avis sur la politique publique sont les bienvenues. Cependant, pour inculquer une culture de redevabilité au sein de la fonction publique et des structures de sécurité, il faudra fondamentalement changer la manière dont les institutions opèrent, communiquer plus activement avec les citoyens et instaurer un dialogue avec les régions et les communautés qui n’ont pas confiance en leurs gouvernements. Des initiatives comme le Partenariat mondial pour la responsabilité sociale de la Banque mondiale, qui réunit les gouvernements et les acteurs de la société civile, sont prometteuses, car elles sont axées sur le renforcement des pratiques de gouvernance qui sont socialement responsables et inclusives, parmi les citoyens ordinaires.

Ces deux crises récentes ont montré que même dans des pays relativement solides comme le Nigeria et la Guinée, la relation de l’État avec les communautés vivant en périphérie peut menacer la stabilité nationale, régionale et internationale.

Ces deux crises récentes ont montré que même dans des pays relativement solides comme le Nigeria et la Guinée, la relation de l’État avec les communautés vivant en périphérie peut menacer la stabilité nationale, régionale et internationale. À l’horizon 2017, les gouvernements africains, les organisations d’aide humanitaire, les institutions multilatérales, la société civile mondiale et une large communauté de personnes pour qui il est important de garantir une gouvernance démocratique inclusive et efficace devront placer la cohésion sociale au centre de leur programmes et politiques.

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