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Commentary

Les Américains et nous: “Une histoire marquée par la suspicion”

Justin Vaïsse
Justin Vaïsse Former Brookings Expert, Director, Policy Planning Staff - French Ministry of Europe and Foreign Affairs

June 23, 2011

Justin Vaïsse details the contentious history of negative representations underlying French-American relations, from the American Revolution up to the recent affair involving Dominique Strauss-Kahn. Vaïsse highlights the impact of cultural and political differences, and how misconceptions on both sides of the Atlantic have caused strains in this constantly evolving relationship.

L’Express: Les réactions suscitées outre-Atlantique par le scandale DSK ont-elles servi de révélateur d’un vieux fond hostile à la France dans l’opinion américaine?

Justin Vaïsse: Dans une certaine mesure, oui. Plusieurs articles ont souligné l’origine française de DSK comme un argument aggravant ou bien explicatif – même si cela n’a duré que quelques jours. L’interprétation de cette affaire va naturellement puiser au réservoir des images, accumulées au long de l’Histoire, d’une France corrompue sur le plan moral, frivole, jouisseuse, avec des élites arrogantes. Elle incarne ce cliché d’un monde latin que l’on oppose au monde protestant, où la règle morale serait mieux appliquée. Déjà, dans les années 1798-1799, les dirigeants américains s’indignent des manigances de Talleyrand, alors ministre des Relations extérieures du Directoire, qui réclame un pot-de-vin afin d’assouplir la position de Paris dans les délicates négociations en cours. Son amour de la chair et de la bonne chère ajoutait au tableau.

De même, le procès intenté, ces dernières semaines, par la presse américaine aux journalistes français pour leur connivence avec le monde politique me rappelle un autre épisode. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les tractations sur le traité de Versailles sont âpres. Le président Woodrow Wilson est pris à partie par les journaux français. Il s’en plaint à Clemenceau. Du jour au lendemain, la campagne de presse s’arrête. L’Américain est stupéfait: cela traduit un rapport du pouvoir aux médias impensable chez lui.

L’Express: A y regarder de plus près, toute l’histoire des relations franco-américaines vibre du choc de ces malentendus…

Vaïsse: Oui, d’ailleurs, les clichés francophobes et antiaméricains précèdent l’existence des Etats-Unis. Certes, la France est la seule des grandes puissances à n’avoir jamais été en guerre contre l’Amérique. Mais, paradoxalement, c’est avec ce pays que les relations sont les plus compliquées, marquées par la suspicion autant que par la concurrence. Car les modèles français et américain prétendent tous deux représenter plus que leur nation, et offrir au reste du monde un message universel. Ce qui crée un arrière-plan propice aux frictions. Même si les Français ne l’admettent pas, c’est bien la Déclaration d’indépendance américaine qui inspire la Déclaration des droits de l’homme française – pas l’inverse. Bien sûr, vu du côté américain, cette idée d’une concurrence française, encore vivace pendant la guerre froide et même dans le conflit en Irak, s’estompe ces dernières années, d’autant plus que la Chine monte en puissance et apparaît comme l’unique rival de l’hégémonie américaine. La prétention française à l’universalisme ne suscite souvent que de l’indifférence.

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