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Élargir les bienfaits de la croissance pour ne laisser personne pour compte

Editor's note:

Note de l’éditeur: vous trouverez ci-dessous le chapitre 3 du Rapport Foresight Africa 2018. Il développe six thèmes fondamentaux offrant à l’Afrique des opportunités de surmonter ses obstacles et de favoriser une croissance inclusive. Rejoignez la conversation en utilisant #ForesightAfrica. To read this chapter in English, click here.

Pourquoi la rapide croissance économique de l’Afrique a-t-elle laissé pour compte un si grand nombre de pauvres et comment y remédier?

Malgré la robuste croissance économique de l’Afrique entre 2000 et 2015, le nombre absolu de pauvres a augmenté sur le continent. La Banque mondiale estime que l’Afrique comptait au moins 50 millions de pauvres en plus en 2013 par rapport à 1990, tandis que Homi Kharas et Wolfgang Fengler estiment quant à eux que rien que pour l’année 2017, on comptait 2,4 millions of pauvres en plus. Même les pays à plus forte croissance ne sont pas toujours parvenus à traduire cette croissance en une réduction significative de la pauvreté. À titre d’exemple, tel qu’illustré à la Figure 1, seuls deux des dix pays d’Afrique à la plus forte croissance figurent aussi au palmarès des dix pays les plus performants en termes de taux de réduction de la pauvreté (Rwanda et Tchad) et en termes de niveaux généraux de pauvreté (Île Maurice et Soudan).

Cet essai analyse trois facteurs expliquant le fossé qui s’est creusé entre la croissance africaine et la réduction de la pauvreté et recommande un certain nombre de politiques visant à élargir les bénéfices de la croissance à l’avenir. En dépit du fait que les ouvrages portant sur la question fournissent une vaste gamme de facteurs, j’ai choisi de me concentrer sur trois des plus fréquemment cités : la croissance économique impulsée par des secteurs à faible intensité de main d’œuvre (une croissance sans création d’emplois de qualité), la croissance démographique rapide dans un contexte de pauvreté profonde et des interventions et une gouvernance politiques favorables aux pauvres limitées ou inefficaces.

La croissance n’a pas créé suffisamment d’emplois de qualité

Bien que la diversification économique progresse sur le continent, la croissance n’a pas créé suffisamment d’emplois de haute qualité. En outre, les pays riches en ressources demeurent surreprésentés parmi les pays les plus performants en termes de croissance. Ainsi, en 2013, le taux d’emplois vulnérables (à savoir les personnes sans emploi à salaire stable) était de 77,4 pourcent en Afrique sub-saharienne, soit le taux le plus élevé du monde.

Par ailleurs, la plupart des dix économies à plus forte croissance entre 2000 et 2015 étaient celles des pays riches en ressources, essentiellement les pays exportateurs de pétrole (Guinée équatoriale, Nigeria, Tchad, Soudan et Angola) dont la croissance était en grande partie impulsée par ces ressources naturelles. Les sous-secteurs à haute intensité de main-d’œuvre n’ont pas évolué suffisamment vite pour générer une augmentation du nombre d’emplois de qualité. Cette situation potentiellement catastrophique s’explique en partie par les situations initiales au sein de nombreux pays qui sont partis d’un taux de pauvreté et d’emplois vulnérables très faible, sans oublier les dégradations engendrées par les États fragiles et minés par des conflits.

TABLEAU 3.1. PAYS LES PLUS ET LES MOINS PERFORMANTS EN TERMES DE CROISSANCE ÉCONOMIQUE, RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ ET NIVEAUX DE PAUVRETÉ

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En dépit de la forte croissance économique dans de nombreux pays d’Afrique, la réduction de la pauvreté a été curieusement incohérente et inégale. Comme l’indique le tableau ci-dessous, beaucoup des pays ayant connu une forte croissance entre 2000 et 2015 n’ont pas été les plus performants en termes de réduction de la pauvreté.

Pour encourager la création d’emplois de qualité, les gouvernements doivent développer des politiques visant à réussir la transformation structurelle de l’économie fondées sur la diversification et le développement des secteurs à haute intensité de main-d’œuvre. Les décideurs politiques doivent identifier les secteurs à haute intensité de main-d’œuvre dans lesquels ils possèdent un avantage concurrentiel durable (industrie manufacturière, développement industriel, agriculture et industrie agro-alimentaire, tourisme, etc.) et créer des clusters afin de permettre au secteur privé de prospérer et de faciliter la création d’emplois bien rémunérés et durables. Amadou Sy a présenté un certain nombre de solutions, dont des politiques agricoles bien conçues, et la montée en puissance de la productivité, la transformation et l’exportation des produits agricoles. John Page analyse ces stratégies en profondeur au chapitre 5 de cette publication. Pour réussir la diversification et créer des emplois, il faudra également tenir compte de certaines autres considérations, surtout dans le cas des pays fragiles, telles que l’amélioration du capital humain (systèmes d’éducation et de santé de qualité pour soutenir des travailleurs capables, en bonne santé et compétents), la réduction des coûts des activités commerciales (notamment l’infrastructure, la sûreté, les droits fonciers, etc.), la facilitation de l’accès au financement, l’assouplissement des restrictions commerciales, comment mettre fin à la dépendance envers les ressources naturelles et la mise en place de mesures d’incitation fiscales pour les entreprises créatrice d’emploi.

Les populations en situation d’extrême pauvreté augmentent plus vite que le taux de pauvreté

La rapide croissance démographique de l’Afrique, en particulier dans un contexte où les seuils de pauvreté sont déjà extrêmement élevés, est l’une des principales causes expliquant l’augmentation du nombre de pauvres sur le continent, et ce malgré la rapide croissance économique. Comme l’a remarqué Laurence Chandy, le taux de réduction moyen de la pauvreté est inférieur au taux de croissance moyen de la population, ce qui conduit logiquement à une augmentation du nombre de pauvres. En fait, la Banque mondiale remarque que la proportion de gens vivant en dessous du seuil de pauvreté a diminué de 55 pourcent en 1990 à 43 pourcent en 2012, mais en raison de la rapide croissance démographique, le nombre absolu de pauvres a augmenté. Ainsi, neuf des dix pays d’Afrique affichant la meilleure performance économique possèdent un taux de fertilité élevé ( de 4 à 5 naissances ou plus par femme). Le degré de pauvreté est également un facteur important. À 16 pourcent, l’écart de pauvreté régional est cinq fois plus élevé que son homologue asiatique, ce qui signifie que les pauvres d’Afrique sont extrêmement pauvres. Par conséquent, les améliorations progressives des niveaux de revenus ne sont pas suffisantes pour permettre aux ménages de franchir le seuil de pauvreté. Lorsque ce taux de pauvreté est combiné à un taux de fertilité élevé, il devient plus difficile pour les populations de sortir de la pauvreté. Pour transformer la croissance en un outil de réduction de la pauvreté plus efficace, les responsables politiques doivent élaborer et mettre en œuvre des politiques visant à contrôler la croissance démographique de sorte que le taux de réduction de la pauvreté augmente plus vite que la population tout en renforçant également les opportunités d’emplois bien rémunérés. Cette tâche est d’autant plus importante que 70 pourcent de la population d’Afrique sub-saharienne est âgée de moins de 30 ans et que le taux de pauvreté est également de 72 pourcent chez les jeunes. En outre, le taux de chômage des jeunes d’aujourd’hui sera probablement deux fois plus élevé lorsqu’ils entreront sur le marché du travail.  La promotion du planning familial, en particulier dans les pays qui connaissent une forte croissance démographique, doit être un élément important des politiques mises en place afin de réussir une croissance inclusive et une prospérité partagée.

FIGURE 3.3. LES TRAVAILLEURS AFRICAINS SE RETROUVENT TROP SOUVENT EN DESSOUS DU SEUIL DE PAUVRETÉ

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Le taux de chômage de la région constitue un grand défi pour les décideurs politiques d’Afrique sub-saharienne, mais le fait de créer des emplois n’est pas synonyme d’élimination de la pauvreté. Comme on peut le voir ci-dessous, plus d’un tiers des Africains possédant un emploi sont toujours situés en dessous du seuil de pauvreté fixé à 1,90 $ par jour, soit trois fois la proportion mondiale.

Interventions et gouvernements en faveur des pauvres limités ou inefficaces

Du fait de ce boom démographique et en l’absence d’une augmentation du nombre d’emplois de qualité, les populations pauvres sont souvent abandonnées à leur sort et se retrouvent confrontées à de grands risques et vulnérabilités (insécurité alimentaire, épidémies, pandémies, mortalité infantile et maternelle, inégalités hommes-femmes, éducation, etc.). À titre d’exemple, 695 millions de personnes vivent sans avoir accès à un assainissement de base, seuls 34 pourcent ont accès à des routes, et 620 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité (Afrique sub-saharienne). En 2014-2015, 153 millions de personnes ont également été en situation de grave insécurité alimentaire en Afrique sub-saharienne. L’Afrique est également confrontée à des enjeux de taille en matière de protection sociale, en particulier au niveau de l’accès aux soins médicaux. L’Afrique, en particulier l’Afrique sub-saharienne, est également la région du monde où le plus grand nombre de travailleurs vit en dessous du seuil de pauvreté. La plupart des personnes vulnérables n’ont pas nécessairement accès à une assistance sociale. La situation est pire dans les pays fragiles et en proie à des conflits, étant donné que les guerres civiles, le terrorisme et l’instabilité politique font perdre aux pays des dizaines d’années de progrès réalisés en matière de réduction de la pauvreté.

Étant donné qu’il faut du temps pour faire augmenter le taux d’emploi des jeunes par le biais d’une transformation structurelle, les responsables politiques doivent en parallèle formuler des politiques ciblées, y compris au moyen de transferts de fonds, en vue de soutenir immédiatement la diminution de la pauvreté. Les décideurs doivent adopter, à travers des initiatives de protection sociale, des interventions ciblées répondant aux besoins immédiats (réduction de la pauvreté, éducation, santé, alimentation, sûreté, etc.) sur la base de quatre mécanismes. Tout d’abord, les décideurs politiques doivent effectuer des transferts directs (assistance sociale) aux personnes extrêmement pauvres afin d’augmenter leurs revenus et réduire leur vulnérabilité.

Ces transferts non contributifs, prévisibles et réguliers sont la manière la plus directe d’affront le problème délicat de la pauvreté, voire même un moyen plus efficace de partager les richesses naturelles. (Shanta Devarajan se penche sur l’allocation universelle dans l’un des points de vue de ce chapitre). En deuxième lieu, un meilleur système d’assurance sociale doit être développé, avec des cotisations obligatoires pour tous les travailleurs, afin qu’ils soient pris en charge en cas de perte de revenus suite à un accident, une maladie, une perte d’emploi, un départ en retraite, ou pour motif de vieillesse. Actuellement, même lorsque de tels programmes existent, ils ne sont pas mis en œuvre efficacement et trop souvent, les travailleurs sont abandonnés à leur sort. En troisième lieu, les décideurs politiques doivent adopter, et encore plus important, faire appliquer, des normes de travail élevées pour protéger les droits des travailleurs afin de les mettre à l’abri de toute vulnérabilité de l’emploi. Enfin, des services sociaux spécifiques doivent être développés pour certains des groupes les plus vulnérables qui ne peuvent pas être classés dans les catégories précédentes, comme les enfants, les femmes, les personnes âgées et les personnes qui vivent dans des zones rurales isolées, entre autres. Les gouvernements doivent recueillir des informations fiables et développer des interventions politiques en vue de faire face aux besoins les plus pressants.

Pour toutes ces raisons, les décideurs politiques africains doivent soutenir l’élan de croissance du continent, tout en continuant à se concentrer sur la réduction de la pauvreté. Ils doivent agir sans plus attendre en vue de rendre la croissance plus inclusive et ne laisser personne pour compte.

Figure 3.4.  EN AFRIQUE, LES PERSONNES SANS EMPLOI REÇOIVENT RAREMENT DES ALLOCATIONS CHOMAGE

Pour aggraver les difficultés de ne pas avoir d'emploi, un peu plus de 3 pour cent des chômeurs en Afrique subsaharienne reçoivent des prestations de chômage. Sans cette forme d'assistance, les obstacles auxquels est confronté un chômeur sont encore plus grands.

 

  • Footnotes
    1. Mon livre à paraître porte sur le rôle joué par les institutions dans le façonnement de la transformation politique et économique de l’Afrique. Landry Signé. 2018. African Development, African Transformation: How Institutions Shape Development Strategy. Cambridge: Cambridge University Press.
    2. Beegle, Kathleen; Christiaensen, Luc; Dabalen, Andrew; Gaddis, Isis. 2016. Poverty in a Rising Africa. Washington, DC: World Bank. https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/22575 License: CC BY 3.0 IGO.
    3. Kharas, Homi, and Wolfgang Fengler. 2017. “Global Poverty Is Declining but Not Fast Enough,” Available online: https://www.brookings.edu/blog/futuredevelopment/2017/11/07/global-poverty-is-declining-but-not-fast-enough/ (Accessed on January 5, 2018).
    4. Sy, Amadou. 2016. “Jobless Growth in Sub-Saharan Africa”. Brookings: Available online: https://www.brookings.edu/blog/africa-in-focus/2014/01/30/jobless-growth-in-sub-saharan-africa/ (Accessed on January 5, 2018).
    5. Le Ghana et le Mozambique sont de nouveaux acteurs dans les secteurs du pétrole et du gaz et sont parmi les plus performants.
    6. Sy, 2016.