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Commentary

L’américanisme de Sarkozy, c’est Elvis Presley et Hollywood

Justin Vaïsse
Justin Vaïsse Former Brookings Expert, Director, Policy Planning Staff - French Ministry of Europe and Foreign Affairs

March 28, 2010

Justin Vaïsse, chercheur à la Brookings Institution, un important cercle de réflexion américain.

leJDD: Comment peut-on qualifier les relations entre la France et les Etats-Unis aujourd’hui?

Justin Vaïsse: Elles sont bonnes, mais pas idéales. Malgré une vision différente sur de nombreux sujets, il n’y a pas de désaccord fondamental ou d’opposition frontale sur des sujets jugés d’intérêt vital, comme ça a pu être le cas dans un passé lointain ou proche, de la crise de Suez à l’Irak. On est revenu dans une configuration assez classique des relations franco-américaines où, sans être nécessairement d’accord sur tout, on arrive à faire des choses constructives ensemble.

Ces relations ont-elles beaucoup évolué récemment?

Sous le mandat de Nicolas Sarkozy, il y a eu trois phases. La phase Bush, où les relations étaient bonnes mais en trompe l’oeil: Bush, affaibli, avait besoin d’alliés; Sarkozy voulait afficher, pour des raisons de rupture, une proximité avec les Etats-Unis. En réalité, ce rapprochement a largement relevé de l’affichage. Sur le fond, il y a eu une légère inflexion sur l’Iran, mais pas aussi grande qu’elle a été parfois décrite. Le retour dans le commandement militaire intégré de l’Otan, si on le met en perspective avec ce qu’avaient tenté de faire Chirac dix ans plus tôt ou Mitterrand en 1991, n’est pas une rupture si importante. Pour le reste, sur le Proche-Orient, l’Irak, l’Afghanistan, le terrorisme, le climat ou la régulation financière, la ligne française a peu bougé entre Chirac et Sarkozy.

Et lorsque Barack Obama a été élu?

C’est la deuxième phase, faite de désillusion et d’éloignement croissant. On a versé dans l’excès en annonçant une lune de miel avec Obama. Tous les Européens ont surinvesti la relation avec ce président. Or, Obama est très charismatique, très populaire, et en même temps très froid. Il n’a voulu privilégier aucun leader, ni Merkel, ni Brown, ni Sarkozy, et n’a répondu qu’avec beaucoup de détachement aux attentes de signes de camaraderie – tapes sur l’épaule ou invitations à Camp David… Au final, cela donne une relation fraîche, en particulier avec Sarkozy.

Quel regard porte Obama sur l’Europe?

Il n’a rien d’européen, ni par sa jeunesse, ni par ses voyages, ni par son imaginaire. Il est un Américain d’abord, un Asiatique ensuite – via Hawaii et l’Indonésie – et un Africain, par son père kényan. Il y a une distance personnelle. C’est d’ailleurs un paradoxe: Obama pense européen – dans la mesure où il croit à l’importance des institutions, du droit international, du multilatéralisme –, mais il n’est pas proche des Européens.

De l’autre côté, on a parlé de “Sarko l’Américain“. Ce surnom est-il encore pertinent?

A mon sens, il ne l’a jamais été que de façon superficielle. L’américanisme de Sarkozy, c’est Elvis Presley et Hollywood, pas une culture politique. “Sarko l’Américain“, ça évoque Tony Blair et l’atlantisme. Or, Sarkozy se situe plutôt dans la moyenne des présidents français, dans le consensus mitterrando-gaullien.

Les points de convergence semblent pourtant se multiplier entre Paris et Washington.

Oui, et c’est la troisième phase: il y a un rapprochement sur l’Iran, ou sur la préparation des G8 et G20. D’autre part, Sarkozy est objectivement affaibli par le résultat des élections régionales en France, et Obama considérablement renforcé par le vote du Health Care. Cela inverse et égalise un peu les positions de ces derniers mois. Sur le climat, avec l’abandon de la taxe carbone, Sarkozy ne peut plus se poser en donneur de leçons face à Obama: il n’a plus le leadership politique et moral. C’est encore un sujet de désaccord qui s’estompe.