Sections

Commentary

Op-ed

Les Français Préfèrent l’apparence du Changement

Philip H. Gordon
Philip H. Gordon Former Brookings Expert, Mary and David Boies Senior Fellow in U.S. Foreign Policy - Council on Foreign Relations

April 17, 2007

S’il y a un seul thème que l’on peut associer à l’élection présidentielle de 2007 c’est bien celui du changement. Pour la première fois depuis des décennies, les Français auront à choisir non pas entre des hommes qui sont sur la scène politique depuis presque toujours, mais entre des candidats d’une nouvelle génération qui veulent tous, chacun à leur manière, incarner l’idée d’une France nouvelle.

Nicolas Sarkozy n’accepte pas l’idée que les Français aient peur du changement et insiste, au contraire, sur le fait qu’ils l’exigent. Il propose une ” rupture ” économique et sociale, une politique étrangère plus atlantiste, et une nouvelle culture de travail pour la France. Ségolène Royal, elle, serait non seulement la première présidente française—un vrai changement en soi—mais promet d’instaurer en France une démocratie participative qui marquerait la fin de la république élitiste d’aujourd’hui et d’hier. François Bayrou est resté en dehors des gouvernements français depuis une décennie, rejette la gauche et la droite en même temps, et propose rien mois qu’une VIème République. Quel contraste avec 2002, quand Jacques Chirac et Lionel Jospin étaient tous les deux déjà au pouvoir, tous les deux sur la scène politique depuis des années 1970, et différaient peu l’un de l’autre dans leur programmes politiques ! Lorsqu’un candidat de tendance radicale—Jean Marie Le Pen—entre au second tour plus ou moins par accident, 82 pour cent des Français opte pour le maintien du statu quo.

Quel que soit le résultat du 6 mai, sommes-nous donc à la veille d’un tournant politique historique ? Malgré les apparences (et malgré ce que voudraient faire croire les principaux candidats), il y a des raisons d’en douter. Il est d’abord nécessaire de constater que l’alternance est loin d’être un fait nouveau en France, et que le changement de têtes ne mène pas forcément aux changements politiques. Il est bien connu que depuis 1978, chaque fois que les Français ont eu l’occasion de voter pour ou contre la majorité en place (présidentielles et législatives confondues), ils ont choisi l’opposition. (Je considère l’élection de Jacques Chirac en 1995 comme un rejet du gouvernement en place d’Edouard Balladur, bien que tous les deux étaient en principe du même bord.) Malgré cette alternance remarquable (qui doit être un record pour les démocraties modernes), depuis le volte-face de François Mitterrand en 1983 nous constatons une continuité dans les politiques économiques, sociales, et étrangères françaises qui n’est pas moins remarquable.

Et si l’on considère enfin le bilan des ” réformateurs ” passée, celui-ci est loin d’être convaincant. D’Alain Juppé à Dominique de Villepin, chaque fois qu’un premier ministre français propose de toucher aux vaches sacrées françaises comme les retraites, l’éducation nationale, le transport ou la santé, il se trouve très vite noyé dans des vagues protestataires d’une opinion publique française qui semble préférer le changement de personnel au changement de politique. Le cas de Dominique de Villepin est particulièrement révélateur : préféré à Matignon par Jacques Chirac au vrai candidat de réforme (Nicolas Sarkozy), il décide en 2006 de procéder doucement avec la petite retouche du code d’emploi qu’était la CPE. Avec le résultat que l’on sait—des dizaines de milliers d’étudiants et de travailleurs dans la rue, le rejet de la réforme, et la fin des ambitions présidentielles de son auteur. Après les émeutes de Novembre 2005, tous les commentateurs disent que c’est le signal que la France doit changer en matière d’immigration et de politique économique ; mais qu’est-ce qui a vraiment changé depuis ?

Le comportement récent des candidats présidentiels semble également indiquer qu’au fond ils savent, eux aussi, que les Français préfèrent l’apparence du changement au changement réel. Ségolène Royal promet de maintenir les protections sociales françaises. Elle tente de présenter Nicolas Sarkozy comme celui qui va renverser un système politique et social que les Français apprécient en instaurant une économie trop ” libérale ” et une politique étrangère trop ” américaine. ” François Bayrou semble vouloir tirer bénéfice du fait que Sarkozy fait un peu peur et Royal est un peu trop nouvelle, tandis que lui, Bayrou, l’agriculteur, éducateur et père de famille, est expérimenté et traditionnel tout en étant nouveau. Quand à Sarkozy, plus la campagne avance plus il semble douter de sa propre conviction que les Français souhaitent le changement. Le slogan de la ” rupture ” est remplacé par celui de la ” rupture tranquille “, le plaidoyer pour la globalisation est remplacé par des critiques populistes contre la spéculation et la politique monétaire européenne, et les photo-ops avec George W. Bush cèdent la place aux applaudissements pour l’opposition de Jacques Chirac à la guerre en Irak. Un nouveau livre de campagne semble être destiné à rassurer les Français là ou le livre de l’été dernier les poussait au changement.

Peut-être l’année 2007—et les candidats de l’année 2007—sont-ils vraiment différents, et l’après-6 mai sera vraiment le début d’une ère nouvelle dans l’évolution de la politique française. Bien des amis de la France souhaitent le croire. On doit dire, pourtant, que les observateurs étrangers seraient plus convaincus de la réalité du désir de changement en France si les Français semblaient l’être eux-mêmes.