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Commentary

Op-ed

Globalization Explained to the French

Philip H. Gordon
Philip H. Gordon Former Brookings Expert, Mary and David Boies Senior Fellow in U.S. Foreign Policy - Council on Foreign Relations

October 11, 2005

The Affaire Danone—the recent panic in Paris set off by rumors that one of France’s top food companies was subject to a hostile takeover from PepsiCo—is but the most recent example of France’s particular resistance to economic globalization. From sheep farmer José Bové’s famous dismantling a McDonald’s restaurant in 1999 to the rejection last summer of the supposedly “neo-liberal” EU constitution, the French continue to demonstrate that they have an even tougher time than others in accepting the growing, and inexorable, integration of the world economy.

Another of France’s particularities is the tendency of its leaders to noisily denounce globalization while accepting the reality that they cannot stop it—and should not want to. For former Prime Minister Lionel Jospin, the practice consisted of criticizing “jungle capitalism” and promising to “tame” globalization while at the same time privatizing more of the French economy than the five preceding prime ministers put together. Similarly, President Jacques Chirac promises to “humanize” globalization and denounces the “ultra-liberal Anglo-Saxon economy” while the share of foreign stock and investment in the French stock market only increases under his leadership.

Today, it’s current Prime Minister Dominique de Villepin’s turn to maintain the French tradition of globalization by stealth. In the face of French worries about growing foreign investment in the French economy, Villepin has invented the reassuring concept of “economic patriotism,” all while taking some very useful steps to make the French labor market more flexible. The Prime Minister’s idea is that France must defend its “national champions,” as if in today’s world the idea of a truly “French” company still actually made any sense. The majority of Dannon employees, for example, work abroad, and the firm makes 70% of its profits from outside of France. Is this really a “French” company? Do its owners invest more in France than a foreign owner would, and are they doing it for patriotic reasons?

Why can’t French leaders be more frank with the French, and explain to them that to succeed in the 21st century, a modern economy must be open to the world? That cheap imported goods from the developing world reduce the cost of living in France and make French companies more competitive, which creates jobs in France? That an American investor who buys a French company does not do it to gobble up the “crown jewels” of France but because he or she hopes to make that company more profitable? That decades of economic history show that closed economies are the poorest, with little job creation, and thus the least capable of caring for their citizens, including those whose jobs are threatened by globalization?

It seems to me that there are three explanations for the French hostility toward globalization. The first is that globalization directly challenges the statist economic and political traditions of the country, which has by no means disappeared. Despite efforts over the past few years to reduce the role of the state in the economy, government spending continues to represent 54% of the French GDP, a much higher level than in most other industrialized nations.

A second reason is the very strong French attachment to their culture and their identity, which many in France believe is threatened by a globalization that takes the form of Americanization. Would the French have been as troubled by a takeover of Dannon if the buyer had been the Swiss firm Nestlé instead of Pepsico? The ghost of “coca-colonization” seems to bother the French as much as a new investor badly running one of its companies.

Finally, the French resist globalization because it threatens the notion of equality, which is one of the founding principles of the French republic. The inequalities created by globalization, which is more or less accepted by the more individualistic Americans, are not acceptable in a France that prefers equality—even at the cost of an elevated rate of unemployment and lower standard of living.

French leaders’ hesitation to accepting globalization is therefore quite understandable—but not necessarily any more wise. If Villepin’s economic patriotism is solely designed to reassure the left and French nationalists by protecting truly “strategic” industries while liberalizing the French economy so that it functions better, the concept is not bad. But the attempt to protect a yogurt maker suggests otherwise. If a French Dannon succeeds less well than a global Dannon, is it patriotic to protect it? If foreign investment better assured its success, is it “economic” to reject it?

What France needs is education on globalization, and not a reinforcement of French prejudices on the subject.


La mondialisation expliquée aux Français
Par Philip Gordon* [11 octobre 2005]

L’affaire Danone, avec la récente panique provoquée par une rumeur selon laquelle la firme française serait la cible d’une OPA hostile de PepsiCo, n’est que la démonstration la plus récente de la réticence particulière de la France vis-à-vis de la mondialisation économique. José Bové, Attac, la taxe Tobin, les best-sellers de Viviane Forrester, le blocage aux frontières des textiles chinois ou encore le rejet massif de la Constitution européenne, dite trop «libérale», le 29 mai… Les Français ne cessent de fournir les preuves qu’ils ont encore plus de mal que d’autres à accepter l’intégration croissante et inexorable de l’économie mondiale. Autre particularité de la France : la tendance de ses dirigeants à dénoncer bruyamment la mondialisation tout en l’acceptant comme une réalité qu’ils ne peuvent pas arrêter, et n’ont d’ailleurs pas intérêt à arrêter. Pour Lionel Jospin, cela consistait à critiquer «le capitalisme de la jungle» et à promettre de «maîtriser la mondialisation», alors même qu’il privatisait plus que l’ensemble des cinq premiers ministres précédents. Jacques Chirac, lui, promet d’«humaniser la mondialisation», dénonce «l’économie anglo-saxonne ultralibérale» de la Constitution européenne, pendant que la part des échanges et la part des investissements étrangers dans le PNB français ne cessent de croître.

Aujourd’hui, c’est au tour de Dominique de Villepin de prolonger la tradition française de soutien furtif à la mondialisation. Face aux inquiétudes françaises devant les délocalisations et les interventions étrangères dans l’économie française, le premier ministre invente le concept rassurant de «patriotisme économique», tout en prenant les mesures qui s’imposent pour rendre le marché du travail plus flexible. L’idée du premier ministre est qu’il faut défendre des «champions nationaux», comme si, de nos jours, l’idée d’une compagnie vraiment «française» avait un sens. La majorité des employés de Danone, par exemple, travaille à l’étranger, et la firme réalise 70% de ses profits hors la France. Est-ce une firme «française» ? Ses patrons investissent-ils plus en France que ne le ferait un patron étranger, et le font-ils pour des raisons patriotiques ?

Pourquoi les dirigeants français ne peuvent-ils pas être plus francs – pour ne pas dire honnêtes – avec les Français, et leur expliquer que, pour réussir au XXIe siècle, une économie moderne doit être ouverte au monde ? Que les produits bon marché importés du monde en développement réduisent le coût de la vie en France et rendent les entreprises françaises plus compétitives, ce qui crée des emplois en France ? Qu’un investisseur américain qui achète une firme française ne le fait pas pour accaparer les «trésors nationaux» français mais parce qu’il espère la rendre plus rentable ? Pourquoi ne peuvent-ils pas leur expliquer, enfin, que des décennies d’histoire économique démontrent que les économies fermées sont les plus pauvres, les moins créatrices d’emplois et, partant, les moins capables de prendre soin de leurs citoyens, y compris de ceux dont les emplois sont menacés par la mondialisation ?

Il me semble qu’il y a au moins trois explications au refus français de la mondialisation. La première, c’est que la mondialisation menace directement la tradition politique et économique étatiste du pays – une tradition qui est loin d’avoir disparu. En dépit des efforts de ces dernières années visant à réduire le rôle de l’Etat dans l’économie, les dépenses du gouvernement continuent à représenter 54% du PNB français, un chiffre beaucoup plus élevé que celui de la plupart des pays industrialisés. La deuxième raison, c’est l’attachement particulier des Français à leur culture et à leur identité, que beaucoup estiment menacées par une mondialisation assimilée à l’américanisation. Les Français auraient-ils été aussi troublés par une OPA sur Danone si l’acheteur avait été le suisse Nestlé plutôt qu’une firme américaine ? C’est sans doute le spectre de la «Coca-colonisation» qui dérange les Français autant que la peur que de nouveaux investisseurs gèrent mal une de leurs entreprises.

Enfin, les Français résistent à la mondialisation parce qu’elle menace la notion d’égalité, qui est un des principes fondateurs de la République française. Les fortes inégalités qui sont créées par la mondialisation, plus ou moins acceptées par les Américains, plus individualistes, ne le sont pas dans une France qui semble préférer l’égalité même au prix d’un taux de chômage élevé et d’un niveau vie réduit.

L’hésitation des dirigeants français à accepter la mondialisation est donc bien compréhensible et conforme à la tradition du pays, ce qui ne la rend pas pour autant très salutaire. Si le patriotisme économique de Dominique de Villepin est uniquement destiné à rassurer la gauche et les souverainistes français en montrant qu’il protège des industries vraiment «stratégiques», tout en libéralisant l’économie française pour qu’elle fonctionne mieux, l’initiative est à applaudir. Mais la tentative de protéger un fabricant de yaourts ne semble pas illustrer une telle approche. Si un Danone «français» réussit moins bien qu’un Danone «global», est-il «patriotique» de le protéger ? Si des investissements étrangers assurent mieux sa réussite, est-il «économique» de les rejeter ? Ce dont la France a besoin, c’est d’une pédagogie de la mondialisation, et non d’un nouveau renforcement des préjugés des Français en la matière.

* Spécialiste des questions européennes à la Brookings Institution de Washington. Derniers ouvrages parus : Le Nouveau Défi français (Odile Jacob, 2002), Allies at War : America, Europe and the Crisis Over Iraq (McGraw-Hill 2004). A paraître en 2006 : Crescent of Crisis : US-European Strategies in the Greater Middle East (Brookings).