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Commentary

McCain pourrait faire une vraie ouverture vers l’Iran, comme Nixon en Chine en 1972

Justin Vaïsse
Justin Vaïsse Former Brookings Expert, Director, Policy Planning Staff - French Ministry of Europe and Foreign Affairs

June 4, 2008

Justin Vaisse joined LeMonde.fr to discuss foreign policy in the presidential campaign. Vaisse compares Barack Obama with John McCain on the issues, and also in terms of ideology and political instincts.

Can: En cas de victoire de Barack Obama, peut-il vraiment se permettre de changer la politique étrangère des Etats-Unis ? N’y a-t-il pas une pression sur ses épaules, celle par exemple des firmes pétrolières ?

Justin Vaisse : Avec un pétrole à 130 dollars, je ne listerais pas la pression de quelques firmes pétrolières très haut sur la liste. Le principal facteur de continuité est d’ordre stratégique, notamment au Moyen-Orient. Obama ne peut tout simplement pas décider du jour au lendemain s’inverser la politique étrangère des Etats-Unis dans la région, d’ailleurs personne n’a intérêt à une révolution. Il peut y apporter, progressivement, des correctifs très appréciables, et je pense qu’il le fera, notamment sur l’Irak et l’Iran.

Par ailleurs, je voudrais tout de suite préciser une chose. On peut discuter des programmes, des annonces, des listes de points précis qui servent à se différencier pendant la campagne. Mais il faut bien comprendre qu’à ce stade, on ne peut prévoir, deviner, qu’une petite partie de ce que sera la politique étrangère de l’un ou l’autre. L’essentiel, à ce stade, c’est de se faire élire. Et pour cela, on ne prend aucun groupe d’intérêt, aucun lobby à rebrousse-poil. Du coup, quand on regarde de plus près, les positions de McCain et Obama ne sont pas si éloignés sur de nombreux sujets. Et il faut ajouter à cela tous les événements imprévus qui vont surgir. Bref, en un sens, c’est plus “l’instinct” des deux candidats, leurs réactions aux événements du passé, et leurs équipes de campagne, qui fournissent un guide pour se faire une idée.

Hakim : En cas de victoire en novembre de Barack Obama, ce dernier pourra-t-il trouver des solutions aux problèmes de la faim et de la misère dans les pays pauvres ? Sera-t-il un soutien moral au peuple palestinien ?

Justin Vaisse : Ce sont deux questions très différentes. Sur la première, les conseillers d’Obama ont montré beaucoup plus d’attention au problème de la faim et de la misère, tout particulièrement Susan Rice, ici à la Brookings Institution (vous pouvez retrouver ses écrits facilement sur le site). Elle insiste sur le caractère stratégique, et pas seulement moral, de cette question, et suggère des pistes, notamment pour l’Afrique.

Quant au “soutien moral” au peuple palestinien, c’est évidemment une question très sensible. Il faut prendre en compte trois données essentielles. Premièrement, l’Amérique peut faire beaucoup, mais elle n’a pas de baguette magique, et une bonne partie du problème dépend de la situation sur le terrain, c’est-à-dire de la situation politique des deux côtés – tant qu’il n’y a pas de partenaires solides, les initiatives restent bloqués par les extrémistes.
Deuxièmement, et on en revient à ce que je disais dans la question d’avant, Obama ne peut aller à l’encontre des groupes pro-israéliens, et a suffisamment été soupçonné d’être soit musulman lui-même, soit proche du Hamas ou prêt à négocier avec lui (en fait, il a dit qu’il était prêt à négocier avec l’Iran sans conditions ou presque) pour se démarquer nettement de toute accusation de “faiblesse”. En témoigne l’éloignement de conseillers (qui n’étaient même pas au premier rang) comme Zbigniew Brzezinski ou, encore plus important, Rob Malley, un ancien négociateur de Clinton, qui est pourtant l’un des meilleurs sur le dossier, mais jugé trop proche des Palestiniens. A ce stade, Obama est un peu moins fort dans l’électorat juif (important à New York et en Floride) que d’autres démocrates, mais il reste nettement en tête par rapport à McCain. Il ne souhaite donc pas compromettre sa position et prendre des initiatives qui l’affaibliraient.

Ceci posé, et c’est le troisième point important, il faut tenter de comprendre son raisonnement, ses “instincts” comme je disais plus haut. Parmi ses conseillers, on trouve des gens qui ont une vision bien plus équilibrée du problème israélo-palestinien que celle des plus durs – une vision qui est proche de celle de la majorité des juifs américains, soit dit en passant. Je pense notamment à Dan Kurtzer, ancien ambassadeur en Israël. Pour conclure, il me semble évident qu’une présidence Obama serait beaucoup plus proche de la présidence Clinton que de la présidence Bush. Difficile de faire pire, de toutes façons.

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